En Guinée, États étrangers et organisations internationales muets face à la répression

Depuis la réélection contestée d’Alpha Condé à un troisième mandat, la répression s’aggrave chaque jour contre les manifestants, qui contestent les résultats d’un scrutin présidentiel entaché de fraudes. Le gouvernement a comptabilisé 21 décès, en marge des manifestations, tandis que l’opposition en dénombre au moins 27. Le chef de file de l’opposition, Cellou Dalein Diallo (UFDG), pourtant donné largement vainqueur par les estimations en sortie d’urnes, exhorte les opposants à poursuivre la « mobilisation dans les rues et sur les places publiques pour exiger le respect de la vérité des urnes ». La communauté internationale détonne par un silence pesant face à la situation dans le pays.
Le silence pesant des pays étrangers et des organisations internationales
Depuis le 13 octobre dernier, le compte Twitter ordinairement très actif de l’Ambassade de France en Guinée est étrangement silencieux. Un mutisme inhabituel dans un pays, dont les scrutins présidentiels sont ordinairement scrutés par la France. Pas la moindre déclaration, même convenue, ne vient appeler le camp gouvernemental à la retenue dans l’emploi de la force contre les manifestants qui, depuis la proclamation officielle des résultats, occupent la rue pour dénoncer les résultats d’un scrutin contesté. En France, seule la voix de Jean-Luc Mélenchon, ancien candidat à l’élection présidentielle et actuel député, est venue trancher avec le silence de la classe politique. Dans un tweet daté du 22 octobre dernier, il adresse une « pensée émue pour les adolescents qui sont tombés sous les balles ». Une référence à la mort de plusieurs jeunes, décédés dans le cadre de la répression des manifestations par les forces de sécurité, après la proclamation, par Cellou Dalein Diallo, de sa victoire dès le premier tour. Les États-Unis restent aussi, depuis le 18 octobre, parfaitement silencieux, appelant simplement à un « processus consultatif, libre, équitable, transparent et pacifique au cours et après cette journée électorale », depuis le site de leur ambassade.
L’ONU, de son côté, joue l’apaisement. Dans un communiqué de presse, publié le 23 octobre, Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, a condamné les violences et s’est dit « profondément attristé par les pertes en vies humaines et la destruction de biens ». L’Union Africaine qui a annoncé le déploiement d’une mission d’observation électorale le 17 octobre est demeurée silencieuse depuis l’annonce des résultats. La CEDEAO « félicite le peuple guinéen et le gouvernement pour les dispositions réalisées pour assurer la tenue de l’élection ». L’Union européenne, qui déplorait les violences en marge des manifestations en amont des élections le 30 septembre dernier, n’a pas fait de communiqué officiel et est restée en retrait du processus électoral. À rebours des critiques portées sur la bonne tenue du scrutin, la CEDEAO a « félicité le peuple guinéen et le gouvernement pour les dispositions réalisées pour assurer la tenue de l’élection ».
Les suspicions de fraudes se multiplient pourtant dans le pays
Un point de vue optimiste qui a profondément choqué l’opposition, alors même que les violences se multiplient et que les premiers cas avérés de fraude émergent dans le pays. En effet, même au sein de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), les dénonciations d’anomalies se multiplient. Bano Sow, vice-président de la CENI, est ainsi signataire d’une déclaration proposant une « reprise » du scrutin, jugeant les résultats actuels nuls et non avenus.
En effet, en Haute-Guinée, région considérée comme l’un des fiefs historiques d’Alpha Condé, les taux de participation atteignent largement les 98 % et dépassent parfois les… 100 %. Le nombre de bulletins nuls ou blancs est quasiment inexistant. Un niveau de participation illogique, dans des régions où une grande partie de la population demeure non alphabétisée.
Atteintes aux droits humains et répression contre l’opposition
Les ONG aussi s’interrogent et dénoncent « le silence de l’Union africaine et de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) face à l’ampleur des violations des droits humains infligées aux Guinéens ». Dans une enquête menée à partir de vidéos amateurs et d’images satellites, Amnesty International a pu authentifier l’usage d’armes de guerre par des membres des forces de défense et de sécurité, contrairement aux affirmations des autorités. « L’analyse montre qu’il s’agit de munitions de type 7.62x39mm, dont le calibre correspond aux armes de type AK/PMAK, » à savoir des armes de guerre, normalement utilisées dans le cadre des conflits interétatiques, explique Amnesty International. Pire encore, des mouvements de jeunesse, jugés proches du parti présidentiel, multiplieraient les exactions, sous l’œil complaisant des forces de défense et de sécurité. Mais le recueil d’informations sur place est délicat, car internet a été coupé dans le pays aux dates du 23 et 24 octobre. Seuls les témoignages, issus des réseaux sociaux, viennent documenter des violences auxquelles peu de pays prêtent attention.
Les manifestations et émeutes continuent dans plusieurs villes de #Guinée. On signale des tirs a balles réelles du côté des forces de sécurité. Le bilan de 10 morts lors des manifestations d'hier pourrait encore augmenter. #Guineevote #AlphaConde pic.twitter.com/YP1eEaDV2K
— Anonyme Citoyen (@AnonymeCitoyen) October 22, 2020
Le sort réservé aux cadres de l’opposition inquiète aussi. Plusieurs d’entre eux ont été menacés, même arrêtés. Comme l’explique Cellou Dalein Diallo, Fodé Oussou Fofana et Kelemodou Yancadé, deux vice-présidents de l’UFDG, auraient été kidnappés et conduits vers « une destination inconnue », alors même qu’ils sortaient d’une réunion avec des émissaires de la CEDEAO, de l’Union africaine et des Nations-Unies. Plusieurs pick-up, ainsi que des camions de gendarmerie et de police, bloquent toujours l’accès à la villa de Cellou Dalein Diallo. Malgré les pressions, ce dernier semble ne rien vouloir abandonner : « Ne soyons pas complices d’Alpha Condé : mobilisons-nous pour la justice et le retour de l’État de droit » répète-t-il plusieurs jours après la proclamation des résultats officiels.
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