En Afrique centrale, le despotisme a encore de beaux jours devant lui

L’Afrique centrale s’enfonce encore un peu plus dans le despotisme. Et même si la démocratie semble implantée dans la région, l’organisation d’élections sert souvent à cacher les manœuvres politiques des dirigeants pour se perpétuer au pouvoir.
Nombreux sont les pays de la région où le concept d’alternance est relativement étranger à la vie politique locale. Au Rwanda, Paul Kagame a été réélu début août pour un troisième mandat de sept ans à la tête du pays, qu’il dirige d’une main de fer depuis 23 ans. Le chef de l’État sortant a recueilli 98 % des voix, contre moins de 1 % pour chacun de ses deux adversaires, à savoir Philippe Mpayimana (0,72 % des voix) et Frank Habineza (0,45 %).
Écrasante, la victoire de M. Kagame n’est cependant pas une surprise. Elle était attendue depuis 2015, lorsque les Rwandais ont plébiscité leur président en votant massivement en faveur d’une révision de la Constitution qui lui permettait de se présenter pour un nouveau mandant et de potentiellement diriger le pays jusqu’en 2034.
Élaborée « sur mesure », la révision constitutionnelle avait été sévèrement critiquée par les partenaires internationaux du Rwanda, qui demandaient, M. Kagame de quitter le pouvoir en 2017. L’ONG Human Rights Watch (HRW) rappelait ainsi que le parti aux manettes, le Front Patriotique Rwandais (FPR), « domine tous les aspects de la vie politique et de la vie publique » du pays.
L’ONG dénonçait la situation de plusieurs leaders de l’opposition, « qui demeurent en prison », et de certains dissidents, qui ont été « assassinés, attaqués et menacés ». Elle déplorait également l’état des organisations indépendantes de la société civile, qui « sont faibles suite à des années d’intimidation, de menaces et d’obstacles administratifs de la part du gouvernement ».
En RDC, un président devant partir incessamment sous peu
La situation n’est pas plus encourageante en République démocratique du Congo (RDC), où Joseph Kabila a également su manœuvrer pour se maintenir au pouvoir. En fonction depuis le 17 janvier 2001, le mandat de M. Kabila a officiellement pris fin en décembre 2016. Mais le chef de l’État avait annoncé en octobre sa décision de repousser les élections « pour éviter d’exclure un très grand nombre de gens ». Selon le dirigeant, « jusqu’à 10 millions de personnes non inscrites, pourraient passer à côté de la chance de voter ».
Mais elles n’ont toujours pas connu cette chance. En décembre 2016, Jospeh Kabila déclarait qu’il quitterait le pouvoir… avant fin 2017 ! Une promesse non tenue, qui a déclenché de violentes émeutes dans le pays. Selon HRW, au moins 34 personnes ont été tuées par les forces de sécurité lors d’une journée de manifestations pour exiger le départ du chef de l’État.
Le 26 juin dernier, le président a de nouveau repoussé l’organisation du scrutin. Il a qualifié l’échéance de la fin 2017 de « purement politique et irréaliste » et a affirmé que sa promesse de partir était seulement « une convenance avec les évêques pour calmer les ardeurs d’une population surchauffée en décembre 2016 », rapporte La Croix.
Les derniers sursauts de Joseph Kabila
Pendant ce temps, la RDC s’enfonce dans une crise politique, économique, sociale et humanitaire. Début août, l’ONU annonçait que plus de 250 personnes, dont 62 enfants, ont été victimes d’exécutions sauvages entre le 12 mars et le 19 juin dans la région du Kasaï (centre du pays). Les massacres ont été perpétrés par des agents de l’État, des milices et des rebelles.
« Profondément préoccupées » par la situation en RDC, les Nations unies ont exhorté les autorités à « prendre toutes les mesures nécessaires en vue d’assurer que Moïse Katumbi puisse participer librement et en toute sécurité, en tant que candidat, aux élections ». M. Katumbi est le seul opposant sérieux à Joseph Kabila, mais il vit en exil forcé en Europe et le chef de l’Etat a instrumentalisé la justice congolaise pour l’empêcher de rentrer au pays. Depuis hier, ce dernier est également la cible d’une campagne de presse négative dans la presse américaine par le biais d’un auteur répondant au nom de « Brian Smith ». Smith, par le biais d’un tribune sponsorisée, aux motivations troubles (les médias anglophones fonctionnent aussi par le biais du pay-to-play), dépeint de façon totalement caricaturale le principal opposant au régime comme un jet-setter au train de vie luxueux et un Machiavel sans foi ni loi. Une véritable campagne de dénigrement qui pourrait être l’œuvre de Joseph Kabila lui-même – en mai dernier, le média The Hill avait en effet révélé que le président illégitime avait dépensé 5,6 millions de dollars auprès de la société israélienne Mer Security and Communications Systems dans le but d’organiser une campagne de lobbying et de relations publiques auprès des principaux décideurs américains.
Se pourrait-il que cette tribune en soit l’émanation ?
« Le régime burundais est en train de s’ériger en dictature »
Les situations rwandaise et congolaise ne sont pas sans rappeler le Burundi, où la candidature, en avril 2015, du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat controversé et sa réélection en juillet de la même année ont déclenché une grave crise politique ayant déjà fait plus de 2 000 morts et des centaines de personnes portées disparues et torturées.
« Le régime burundais est en train de s’ériger en dictature », a averti la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH) en juillet dernier. L’ONG dénonce un risque de génocide envers la minorité tutsi, une violation systématique de la liberté d’expression et une campagne de répression violente de tous les présumés opposants, y compris au sein du parti au pouvoir.
En 2015, Pierre Nkurunziza avait été réélu président avec plus de 69 % des voix. Certes, c’est un score moins impressionnant que celui de son homologue rwandais, mais bien meilleur que ceux de Joseph Kabila en 2006 et 2011. Les crises dans lesquelles ils plongent leurs pays sont, hélas, toutes également dramatiques.
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