A LA UNE

Nouvelle Constitution en Côte d’Ivoire : le choix du progrès ?

Nouvelle Constitution en Côte d’Ivoire : le choix du progrès ?

 

En Côte d’Ivoire, le projet de référendum visant à établir une nouvelle Constitution a été autorisé par l’Assemblée Nationale, via la loi organique du 22 juillet 2016. Ainsi, une nouvelle norme suprême sera soumise à un référendum à la fin du mois, après examen par l’Assemblée nationale à partir de ce mercredi 5 octobre. Si elle est acceptée par une majorité d’Ivoiriens, cette réforme permettra un passage à une troisième République, tout en tournant une page douloureuse du pays, marquée par des crises politiques et identitaires. Selon la majorité, l’adoption de cette Constitution taillée sur mesure accompagnerait idéalement l’élan économique et social que le pays connaît depuis quelques années. Mais au fait, que dit ce texte ?

 

La rédaction d’une nouvelle Constitution était l’une des promesses de la dernière campagne d’Alassane Ouattara. Réélu à la tête de la Côte d’Ivoire pour un mandat de cinq ans en octobre 2015, ce dernier a dirigé les travaux d’analyse et de consultation qui, pendant près d’un an, ont permis la production du texte qui sera soumis aux Ivoiriens. Pour l’heure, le projet de loi fondamentale se trouve, à compter de ce mercredi 5 octobre, sur le bureau des députés. Les élus doivent d’abord prendre connaissance du document et y ajouter éventuellement des amendements. Puis, en séance plénière, ils procéderont à son adoption, avant d’en livrer une version définitive au peuple pour que celui-ci se prononce. Si officiellement on ne connaît pour l’heure que les grandes lignes du texte, l’avant-projet de loi circule en fait sur le Web depuis le 2 octobre, et permet de se faire une idée précise du projet de société porté : au programme, volonté de réconciliation et choix de la modernité dans un pays en pleine mutation, passé par deux crises majeures en une décennie.

 

Une Constitution largement inspirée des accords de Linas-Marcoussis

 

Comme le soulignait le porte-parole du gouvernement, Bruno Koné, « l’idée est de mettre une décennie de troubles derrière nous (…) et d’avoir un nouveau contrat social dans lequel chacun se retrouve ». Ainsi, le projet s’inspire largement des dispositions des fameux accords de Linas-Marcoussis, texte rédigé en janvier 2003 en France par l’intégralité des forces politiques ivoiriennes (à l’exception de l’UPCI), visant à négocier les conditions d’un retour durable à la paix. Cet accord unanimement acclamé – fait rare en politique – se voulait un nouveau point de départ pour un pays dont le potentiel exceptionnel était gâché par la non-continuité de l’Etat, des divisions ethniques et religieuses, et un système politique inadéquat.

 

La Constitution établie par la suite avait en réalité assez peu pris en compte les orientations de l’accord, et la situation avait une nouvelle fois dégénéré lorsque le président sortant Laurent Gbagbo avait refusé de reconnaitre sa défaite électorale fin 2010, plongeant la Côte D’ivoire dans le chaos. C’est pour éviter ce genre d’impasse qu’Alassane Ouattara s’est engagé à réformer le texte fondateur du pays. Un changement structurel doit souvent s’accompagner d’un changement de cadre, et le président avait durant son premier mandat – largement consacré à la consolidation de la paix sociale – envisagé d’ « écrire de nouvelles pages de l’histoire » ivoirienne en proposant un « nouveau Contrat Social, qui s’adapte aux réalités » du pays et des Ivoiriens. En ce sens, il avait promis de se montrer fidèle aux idées présentes dans les accords de Linas-Marcoussis, texte rédigé par l’ensemble des acteurs politiques ivoiriens.

 

Adieu l’article 35

 

Le texte final, mis à jour par un comité d’experts de tous bords politiques, se veut ainsi le reflet de ces accords, mais également des propositions plus récentes émises par les forces vives du pays. Il prévoit tout d’abord de dépasser le concept de « l’ivoirité », posé par l’article 35 de l’actuelle Constitution posant les conditions d’éligibilité à la magistrature suprême, et qui a longtemps fait débat, entrainant une forme de « méfiance identitaire ». Exit donc cet article 35, qui devient l’article 55. Selon le nouveau texte, tout candidat aux élections présidentielles doit ainsi être de nationalité “exclusivement” ivoirienne, “né de père ou de mère ivoirien d’origine”. Plus restrictif, l’article 35 demandait que les deux parents du candidat soient Ivoiriens, nés sur le territoire ivoirien, et n’aient jamais demandé d’autre nationalité.

 

Le président de la République n’est, dans ce texte, plus rééligible qu’une fois pour une durée de cinq ans – une mesure encore une fois inspirée par les accords de Linas-Marcoussis, propice à favoriser l’alternance dans une région du monde où les dirigeants ont parfois la mauvaise habitude de s’accrocher au pouvoir. Une alternance obligatoire qui invalide la théorie de ceux qui prêtaient à Alassane Ouattara l’intention de briguer un troisième mandat.

 

Création d’un poste de vice-président et d’un Sénat

 

En plus de l’alternance, le projet de Constitution se penche sur une autre menace à la paix sociale : il prévoit la création d’un poste de vice-président, censé suppléer au dirigeant en cas de déplacement à l’étranger, d’accident ou d‘indisposition, et ainsi assurer la continuité de l’exercice du pouvoir. Un vice-président qui, par mesure de représentativité, pourrait être un homme du Sud comme semble l’avoir laissé entendre récemment le chef de l’Etat, qui lui vient du Nord. Exceptionnellement nommé par Alassane Ouattara dans les semaines à venir, le vice-président sera, dès 2020, élu en même temps que le président pour une durée de 5 ans.

 

En outre, l’un des changements majeurs de cette nouvelle Constitution sera la création d’un Sénat – chambre basse du parlement ivoirien peuplée des représentants de la société civile, des ensembles régionaux, des partis politiques, de la chefferie traditionnelle, des guides religieux, des femmes, des jeunes et d’autres minorités dont la visibilité est réduite, mais dont la participation à la vie citoyenne est cruciale pour un développement équilibré du pays. Il est prévu que deux tiers des sénateurs seront désignés au suffrage universel, alors que les autres seront nommés par le président en exercice. Le but est de faire entendre une voix alternative, tout en laissant le dernier mot à l’Assemblée nationale.

 

« Toutes ces réformes ont pour but ultime de doter la Côte d’Ivoire d’une Constitution moderne et de mettre en place des Institutions cohérentes, fortes, respectueuses de la diversité et protectrices des libertés », expliquait Alassane Ouattara lorsqu’il a présenté les ambitions du nouveau texte début août. Pour lui, il s’agit de « transmettre, aux générations futures un message de Paix, d’unité, de prospérité et d’espérance en l’avenir ». Reste à savoir si les députés, puis les citoyens ivoiriens, l’entendront de la même oreille.

Publié le 5 octobre 2016 à 9 h 20 min par Rédaction

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.